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Logiciels embarqués : à la recherche de la frugalité dans un univers toujours plus connecté et sous IA

Avril 2025

Par nature, les logiciels embarqués doivent composer avec des environnements aux capacités limitées — en énergie, en mémoire, en puissance de calcul — et sont conçus pour maximiser l’autonomie des systèmes qu’ils pilotent. Mais cette frugalité par essence est aujourd’hui mise à l’épreuve. Car les systèmes embarqués deviennent eux aussi connectés, et intègrent à leur tour des briques d’IA. Le défi pour les acteurs du secteur est clair : rester fidèles à l’exigence de sobriété tout en répondant aux nouveaux enjeux de cybersécurité, de performance et d’intégration.

Le logiciel embarqué s’impose comme un pilier discret mais stratégique des systèmes électroniques industriels. Par essence, il est conçu pour fonctionner dans des environnements aux ressources limitées : faible puissance de calcul, mémoire restreinte, alimentation réduite. Cette contrainte structurelle engendre un impératif de frugalité. « Nos technologies sont nativement frugales. Pourquoi ? Parce que nos logiciels travaillent dans des environnements embarqués qui, depuis l'origine, disposent de peu de mémoire, de peu de capacité de calcul, de peu d'énergie », explique Luc Chabaudie, président d’Embedded France.

Parfois alimentés par une simple pile, ces systèmes ne peuvent se permettre aucun gaspillage. Cette sobriété, autrefois considérée comme un compromis, devient aujourd’hui une qualité recherchée à l’heure où la consommation énergétique du numérique explose. Pour Luc Chabaudie, « nos technologies peuvent aider au développement d’un continuum digital plus frugal », en apportant leur efficacité à des environnements informatiques plus lourds.

Il cite par exemple Kalray, une entreprise française qui initialement se fondait sur la fabrication de cartes électroniques embarquées à destination de l’industrie automobile. « Ces cartes, Kalray les a un peu musclées et en a construit des versions qui tournent aujourd’hui dans des serveurs. » détaille-t-il.

Des défis renforcés par la connectivité et la cybersécurité

Historiquement, les systèmes embarqués évoluent en vase clos. Mais la montée en puissance de la connectivité dans l’industrie change la donne. Objets connectés, véhicules autonomes, infrastructures intelligentes : l’embarqué devient partie intégrante d’un réseau, ce qui augmente sa surface d’exposition. « Nos logiciels pilotent des fonctions critiques des systèmes. Cela génère des contraintes de safety, mais aussi de cybersécurité. Nos systèmes, qui pendant très longtemps étaient isolés, le sont de moins en moins », souligne Luc Chabaudie.

La sécurité fonctionnelle, ou safety, vise à garantir la fiabilité du système face aux pannes ou comportements imprévus. À cela s’ajoute désormais les enjeux de cybersécurité : faire face aux risques d’intrusion ou de sabotage. Dans des secteurs comme l’automobile ou l’aéronautique, l’embarqué ne peut tolérer la moindre faiblesse. « À partir du moment où les systèmes sont connectés, des risques existent », rappelle le président d’Embedded France. Ce double impératif impose de nouvelles approches, intégrées dès la conception.

Écoconception : un levier pour renforcer l’impact du secteur

Au-delà de l'efficacité technique, l’écoconception devient une préoccupation centrale. Le secteur des systèmes embarqués, fort de sa culture de la contrainte, souhaite désormais aller plus loin. « Le lien entre nos univers et les enjeux autour de la frugalité se traduit pour nous par des enjeux d'écoconception », explique Luc Chabaudie. Embedded France a mis en place un groupe de travail dédié à cette problématique, débouchant en janvier dernier sur un livre blanc.

Objectif : accompagner les équipes de développement dans la prise en compte de l’impact environnemental sur l’ensemble du cycle de vie. Le livre blanc a été conduit par la startup bretonne WedoLow, membre d’Embedded France. Spécialisée dans les logiciels d’aide à la conception d’applications embarquées en mettant l’écoconception au cœur de sa stratégie, cette jeune pousse bretonne illustre la volonté d’Embedded France de promouvoir des solutions concrètes.

Publié en janvier, le livre blanc “Le cycle de vie d’un système embarqué” comble un manque d’analyse globale sur l’impact environnemental de ces technologies. Il propose une méthodologie complète, du développement au recyclage, en passant par la production, la distribution ou encore l’usage, tout en identifiant les bonnes pratiques d’écoconception.

Au-delà du constat, ce livre blanc ouvre des pistes d’action pour intégrer davantage l’écoconception dans toutes les phases de vie d’un système. « Ce livre blanc montre que nos systèmes embarqués ont à apprendre de systèmes IT, mais aussi à leur apporter », insiste Luc Chabaudie, soulignant la complémentarité entre les deux univers du numérique.

L’IA embarquée : entre contrainte et innovation

L’arrivée de l’intelligence artificielle, et notamment de l’IA générative, bouscule l’univers de l’embarqué. Gourmande en données, en calculs et en énergie, cette technologie semble à première vue peu compatible avec les contraintes de l’embarqué. Et pourtant. « Nous appliquons à cette technologie vraiment intéressante nos contraintes : capacité de calcul limitée, énergie disponible limitée, et temps réel », expose Luc Chabaudie.

Cela se traduit notamment par l’émergence de Small Language Models (SLM), conçus pour fonctionner sur des cibles matérielles de très petite taille. « Évidemment, un langage ne peut pas être petit et très intelligent à la fois, mais avec les SLM, on fait exactement ce pour quoi ils sont conçus », poursuit-il. Ces modèles allégés permettent un traitement local des données, au plus près de la source — capteur, caméra intelligente, ou calculateur embarqué. Une démarche cohérente avec les principes de frugalité, mais aussi de confidentialité et de réactivité.

Embedded France : fédérer les énergies autour de l’embarqué

Créée en 2013, Embedded France est l’association des représentants français des logiciels et systèmes embarqués. Elle rassemble industriels, startups, chercheurs, écoles d’ingénieurs et associations professionnelles. Son ambition : développer l’emploi et les synergies dans ce secteur clé de l’industrie française.

Pour Luc Chabaudie, Embedded France « est une structure qui a pour objectif d'être un passeur. On a cette capacité d'aligner des planètes entre des mondes qui, souvent, ne se parlent pas comme les grands groupes industriels et les startups sur des problématiques extrêmement concrètes ». Il insiste également sur le rôle de l’association auprès des pôles de compétitivité. « Ces structures ont parfois du mal à échanger horizontalement entre elles. Une de nos missions auprès d’elles : favoriser les liens. »

L’association agit comme un trait d’union entre les différents écosystèmes. Elle entretient aussi un lien étroit avec les pouvoirs publics. Présente au sein du Comité de programme de GreenTech Forum, elle y défend la spécificité des technologies embarquées : « nous représentons les technologies qui font le lien entre le monde de la donnée, du cloud, et le monde des applications industrielles », résume Luc Chabaudie. Une position stratégique, à l’heure où le numérique cherche de nouveaux équilibres entre puissance et sobriété.

A propos

Luc Chabaudie est Président de Embedded France et membre du Comité de Programme de GreenTech Forum 2025.

Auteur de l'article : Rémy Marrone pour GreenTech Forum

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