NUMÉRIQUE RESPONSABLE | RÈGLEMENTATION

Du reconditionné bien sûr, local et social avant tout !

Octobre 2024

Le réflexe du reconditionné gagne peu à peu du terrain au sein des entreprises. Mais du point de vue des experts en la matière, la maturité n’est encore pas tout à fait au rendez-vous. Valorisation des filières locales, engagement des fabricants et réglementation plus exigeante peuvent être des clés pour faciliter le passage à l’échelle.

« Il y a peut-être une sorte de fausse maturité sur le sujet du reconditionnement : on en parle beaucoup, mais beaucoup ne sont pas encore passés à l’action ». C’est le sentiment d’Isabelle de Saint Aubert, Directrice du développement chez Ecodair, une entreprise sociale qui fait du reconditionnement informatique. Certaines entreprises ont certes enclenché des démarches pour prendre en compte les enjeux du reconditionnement, mais les freins restent encore nombreux pour un passage à l’échelle. Encourager le reconditionnement local, changer l’imaginaire lié et inciter les fabricants à l’inclure dans leurs offres sont autant de dimensions qui peuvent changer la donne.

Ecodair est une des structures historiques du reconditionnement. Son cœur de métier est de gérer la fin de vie des équipements numériques et de les remettre en état : collecte, transport, effacement des données, tests, nettoyage, micro-soudures… « C’est un process d’économie circulaire visant à restandardiser un équipement » détaille Isabelle de Saint Aubert, « c’est très différent de l’économie linéaire ».

Ça c’est pour la partie écologique du métier d’Ecodair, mais l’entreprise a aussi une vocation sociale, « 70% de mes collègues sont en situation de fragilité sociale, de précarité ou en situation de handicap » poursuit-elle, « on fait le pari de la mixité des situations autour des métiers du reconditionnement. »

Ecodair, c’est environ 200 salariés dans une entreprise en forte croissance. Ici, on reconditionne local. La filière de réemploi est faite d’emplois locaux et permet de créer des métiers très qualifiés. « Avec Ecodair, on ne donne pas une seconde chance aux gens, on donne une première chance à des personnes qui n'en ont pas eu une ! » s’enthousiasme Isabelle de Saint Aubert. Au sein d’une filière très solidaire, la responsable de développement d’Ecodair en est convaincu : ces métiers peuvent permettre de construire le monde de demain à plus large échelle.

Le prétexte de l’homogénéité, la tentation du neuf

Pour l’heure, même si les choses avancent et qu’aux yeux d’Isabelle de Saint Aubert, le reconditionné grappille peu à peu sur le neuf, le constat est que le sujet est encore balbutiant : « il y a une question de taille, les plus petites entreprises s’y mettent plus rapidement car la chaîne de décision est plus courte. Pour une plus grande entreprise, si elles veulent gérer un parc homogène, il va falloir changer certaines habitudes. Le neuf est plus simple. »

Pour favoriser la connaissance et diminuer les préjugés sur le reconditionné, Ecodair fait de la pédagogie et s’appuie sur les personnes les plus engagées au sein de l’entreprise : « lorsqu’il y une personne ambassadrice, c’est un facteur clé de réussite pour nous ». Pour Isabelle de Saint Aubert, Ecodair doit également rassurer : « on garantie nos produits reconditionnés sur trois ans, on fait nous même le SAV en France et on explique qu’on est capable de répondre à des parcs homogènes de plus en plus large notamment en diversifiant nos approvisionnements lorsque nécessaire. »

« Pour certaines organisations qui ne vont pas vers le reconditionné, l’exigence d’homogénéité est à la fois un prétexte et aussi une réalité » poursuit Isabelle de Saint Aubert. Sur des très grands parcs comme fournir le même équipement à tous les lycées d’une même région, ce n’est par exemple pas encore possible de passer par la filière de reconditionnement, mais « si on se rapproche de l’usage, on voit que dans bien des cas le besoin d’homogénéité est moins latent qu’il n’y paraît » abonde-t-elle. La loi AGEC obligeant les acteurs publics à inclure au moins 20% de reconditionnés dans la commande publique est aussi un levier.

Une filière à stabiliser

Le monde change peu à peu et c’est bien ce qui réjouit Robin Ronceray, Responsable Etudes et Prevention chez Ecologic, éco-organisme agréé par l'Etat pour la collecte et le traitement des D3E « En tant qu’éco-organisme, on a beaucoup d’adhérents du monde de l’IT et on voit clairement le monde de l’économie circulaire changer à notre échelle et surtout en France ! ».

La REP 3E, comprenez Responsabilité Élargie des Producteurs d’équipements électriques et électroniques existe près de 80 pays est un des facteurs de ce changement. Mais selon Robin Ronceray, « il n’y a qu’en Europe avec la France en pointe qu’on va au-delà du sujet recyclage pour embarquer la question de la prévention des déchets (éco-conception, réemploi, et réparation). »

Un rôle qu’endosse pleinement Ecologic en se positionnant comme un maillon essentiel du reconditionnement, en amont donc du recyclage de déchets. Entre autres, Ecologic oriente, conseille, guide, accompagne. En somme, Ecologic cherche à éviter que des équipements encore fonctionnels partent dans les bennes pour recyclage. Enjeu : allonger la durée de vie des équipements.

« Les entreprises sont plus matures sur le recyclage, mais sont parfois confuses entre leurs obligations de gérer leurs déchets et leur volonté d'allonger la durée de vie des équipements. » décrypte Robin Ronceray. A titre d’exemple, il cite le dispositif d’Ecologic nommé E-dechet. « Il existe depuis 2011 et permet de faire retirer ses DEEE directement et gratuitement en entreprise avec le temps cela est devenu plus un réflexe désormais même si tout le monde ne le fait pas encore » illustre-t-il « au début il n’y avait que des pionniers qui le faisaient. »

Pour lui, les difficultés du reconditionnement sont liées à sa jeunesse. Pas encore assez médiatique. Pas encore assez organisé. Pas suffisamment mature. Un faible marché à la revente pour certains équipements. En bref, une filière encore fragile à consolider. Ecologic contribue à apporter les méthodes pour professionnaliser les métiers, former les jeunes, avoir un réseau des acteurs du réemploi et du reconditionnement qui soit aussi dense que le réseau de recyclage qui depuis 20 ans s’est fortement étoffé. « Pour recycler vous avez sans doute, près de chez vous, un moyen de déposer votre équipement. Mais pour le réparer, c’est moins le cas, même si ça se développe. » précise Robin Ronceray.

Le rôle de l’éco-organisme est aussi de soutenir la filière réparation, « mais il faudrait de la traçabilité » ajoute-t-il, « on peut soutenir techniquement, logistiquement des reconditionneurs mais cela suppose une garantie de qualité, pour donner confiance aux usagers. Ecodair, par exemple, nous savons que leurs process fonctionnent ». Ecologic soutient les acteurs de la filière s’ils respectent un cahier des charges précis.

Une filière locale à valoriser

Et du soutien d’Ecologic, la filière en a bien besoin. « On est sur un marché extrêmement mondialisé » reprend Isabelle de Saint Aubert (Ecodair),  « On a des leasers, qui viennent d’Europe de l’Est, à Dubaï… Ils travaillent bien mais les stocks font le tour du monde avant de revenir au bon endroit ».

« On ne peut que demander cette prise de conscience : revaloriser son stock en France ça peut faire la différence, ça a plus de sens écologiquement et socialement. » clame-t-elle. Pour elle, l’enjeu est marketing. Le reconditionnement en France c’est un peu plus cher mais c’est made in France. Et ça, ça en fait un argument marketing. « Il y a un travail de représentation à faire sur le sujet » poursuit-elle, « pouvoir annoncer que les administrés ou les salariés travaillent avec du matériel reconditionné en France et recertifié par tel constructeur, ça rassure. »

Le rôle des fabricants

Le certificat par les constructeurs, une belle idée pour entraîner tout le monde dans la boucle du reconditionnement. Les fabricants ont clairement un rôle à jouer dans la filière. « On voit les fabricants se mettre au reconditionnement, cette tendance peut aider le marché » analyse Isabelle de Saint Aubert.

Pour elle, la loi en France est clairement un moteur. Pas étonnant que le pays soit pilote en la matière dans bien des cas. « On discute avec Lenovo ou HP pour être certifié. Des acteurs comme eux vont faire progresser le sujet en termes de volume et de standards. » détaille-t-elle.

Reste à gérer la rencontre de deux mondes. Car la marche est grande entre la filière réparation composée de PME/ETI et les grands fabricants ! Le risque, surtout, serait de voir le marché partir à l’étranger en Europe de l’Est, où d’après Isabelle de Saint Aubert les acteurs sont plus gros.  

Si ce n’est pas l’évidence même sur le papier, le local a pourtant encore une fois tout son sens. Reste aux gros constructeurs de jouer le jeu et privilégier l’impact écologique et social, quitte à ce que sur le versant économique, la note soit un peu plus salée. Un appel à la responsabilité de chacun, où la politique peut avoir toute sa place pour accélérer cette rencontre des deux mondes.

A propos

Isabelle de Saint Aubert est Directrice du Développement chez Ecodair.

Robin Ronceray est Responsable Etudes et Prévention chez Ecologic.

Isabelle de Saint Aubert et Robin Ronceray interviennent sur GreenTech Forum 2024, lors de la conférence intitulée "Filière réparation : avancées et défis, regards croisés en France et dans l'UE".

Auteur de l'article : Rémy Marrone pour GreenTech Forum

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