NUMÉRIQUE RESPONSABLE | ÉTHIQUE

RENDRE L’ADAPTATION DÉSIRABLE

Novembre 2023

Suite à la 3èmeédition de GreenTech Forum Paris, et en vue de la première édition de GreenTechForum Brussels (18-19 juin 2024), retour sur ce qui s’est dit pendant l’événement avec les speakers invités sur scène à Paris.

A l’heure où le dérèglement climatique est plus que jamais visible, il est temps pour les entreprises de s’adapter. Pour les entreprises motrices de cette adaptation, toute la difficulté réside dans la capacité à rendre désirable la sobriété et à en montrer les bénéfices.

Changer de paradigme. Tout un programme. Et pour adopter ce nouveau programme, il faut des entreprises convaincues. La conviction passe forcément par la compréhension des enjeux et de l’atteinte des limites planétaires. Intégrer ces paramètres, c’est considérer qu’il ne sera plus possible de développer une entreprise dans 10 ans comme il l’a été fait jusqu’à aujourd’hui. De fait, les entreprises sont dans la nécessité de se repenser, s’orienter vers plus de sobriété et de circularité. Et pour y parvenir, il faudra les aider à cerner tous les bénéfices en interne comme à l’externe de cette nouvelle orientation. 

« Les axiomes d’avant ne sont plus vrais, il est temps pour les entreprises de s’en rendre compte », assène Christophe Pham, fondateur d’Infogreen Factory, une entreprise de services numériques qui réunit autour d’elles des entrepreneurs engagés, « en tant qu’entreprise on ne peut plus ne pas regarder les angles morts, c’est dangereux pour la pérennité. D’ailleurs, les entreprises ne devraient même plus percevoir le dérèglement climatique comme un angle mort, car il est déjà largement perceptible ».

Pour Christophe Pham, beaucoup d’entreprises ont encore tendance à penser qu’elles ne sont pas concernées par les enjeux climatiques. « Si on regarde le problème de l’eau, on peut estimer ne pas être concerné et donc que les problèmes énergétiques ne nous concernent pas », détaille cet expert en numérique responsable, « en réalité, il y a des sécheresses partout, et les datacenters consomment beaucoup d’eau pour se refroidir. A titre d’exemple, Google affronte la colère des uruguayens pour un nouveau projet de datacenter dans un pays en proie à de très fortes sécheresses et pénuries d’eau potable. »

Christophe Pham fait le même constat pour OVH. Installé, entre autres, dans le Pas-de-Calais avec un datacenter de plus 20 000 m2, OVH ne peut ignorer les risques liés aux inondations récentes qui ont fortement impacté le département. « OVH, avec la montée des eaux, comme Google avec la sécheresse, et d’autres dans de nombreuses situations similaires, sont clairement en risque par rapport à ces phénomènes climatiques » poursuit le dirigeant d’Infogreen Factory « ce ne sont plus seulement des signaux faibles ». 

Pour autant, pour Christophe Pham, l’optimisme peut être de rigueur. « Enfin, nous allons pouvoir redécouvrir nos talents mutuels à travers de nécessaires coopérations et exercer notre créativité. L’histoire reste à écrire ; elle est enthousiasmante et belle : future is bright, future is sobriety. »  

Réconcilier ses dissonances

Christophe Pham aime à rappeler qu’il a fait « son coming-out du système » il y a quelques années, quand il s’est rendu compte qu’il n’était « plus compatible ». « Je travaillais dans l’informatique. Il y avait trop de dissonances en moi. J’ai créé Infogreen Factory avec la volonté de réunir autour de moi des entrepreneuses et entrepreneurs également en dissonance, et avoir de l’impact. »

La force du collectif, Christophe y croît. « En se donnant la main, les êtres isolés peuvent avoir un grand impact ». C’est dans cet esprit qu’il a créé Infogreen Factory avec bien sûr comme cadre de mission, servir le numérique responsable. « Même si on travaille spécifiquement sur ces questions de numérique responsable, il est important que les entreprises ne fonctionnent pas en silo et que chaque secteur se donne la main pour avancer sur ces enjeux de transition et d’adaptation ».

Réconcilier les dissonances est aussi une des missions de la Scic (Société coopérative  d'intérêt collectif) TeleCoop, premier opérateur téléphonique d'intérêt général. « Nous aidons les citoyens à reprendre le contrôle sur leurs usages numériques » décrit Anaïs Dubois, Responsable Stratégie et Partenariats.

« Le numérique prend de plus en plus de place dans nos vies et ce sans aucune limite. Les acteurs en place poussent surtout à beaucoup de consommation mais pas vraiment à un numérique citoyen, sobre et résilient. » reprend Anaïs Dubois. TeleCoop place ainsi son action sur une autre dimension que ces concurrents. L’objectif de la coopérative est d’accompagner les clients à plus de sobriété et à comprendre comment repenser leur rapport à la consommation de données. « On développe des forfaits où le client ne paie que ce qu’il consomme ; dans ce système, on a démontré en 2022, que la consommation de data diminue ».

L’économie de l’attention est carbonée

La plus importante consommation de données, pour Anaïs Dubois, réside avant tout dans les usages qui ont le plus d’impact sur notre bien-être. « On le voit, il y a une assez forte corrélation entre certains usages qui ont de l’impact en termes de carbone et leur nocivité sur notre santé » détaille-t-elle, « la vidéo par exemple, dont une partie des GAFAM base son économie dessus à un fort impact sur l’attention à l’autre, la concentration ou encore le pouvoir de créativité ». 

Anaïs Dubois globalise même ces problématiques à l’économie de l’attention, économie qui se fonde sur la capacité d'une entreprise à capter le temps des utilisateurs sur ses produits : « tout ce qui relève de l’économie de l’attention est problématique. Par exemple, Instagram est aujourd’hui visé par une plainte déposée par 42 états aux USA ». Et pour elle, cette économie de l’attention est aussi l’une des « plus émettrices en termes d’impact environnemental sur la partie usages ». En somme, créer un numérique plus citoyen permettrait aussi de créer un numérique à l’empreinte environnementale réduite.

Les choix technologiques conditionnent

Changer la perception du numérique passe aussi par des choix technologiques. Pour la responsable Stratégie & Partenariat de Telecoop, l’arrêt à venir de la 2G et de la 3G est, dans ce cadre, assez problématique. En effet, Telecoop s’insurge contre l’arrêt de ces réseaux, sans calendrier précis d’une part de la part des opérateurs concernés, et avec un effet rebond potentiel d’autre part. 

« Avec l’arrêt des réseaux 2G/3G, un report d’impact sur la 4G et la 5G risque de se produire. La 2G, pour la voix, est pourtant un réseau particulièrement sobre » détaille-t-elle, « par ailleurs, il y a un grand enjeu pour tous les petits appareils connectés comme ceux qui gèrent la téléalarme dans les ascenseurs ou la connexion au réseau des machines à café collectives ; l’effet rebond va être important car ces capteurs ne sont pas compatibles avec les réseaux supérieurs à la 3G ».

Enfin, Anaïs Dubois note que « 95% des téléphones se connectent au moins une fois par an à la 2G » ce qui signifie que ce réseau est encore utile. Ainsi, les choix technologiques sociétaux réalisés confortent les propositions d’innovation sans forcément les questionner. Pourtant, repenser ce rapport à l’innovation, à l’instar de ce que souhaite faire le nouveau pôle de compétitivité numérique responsable de la Région Nouvelle-Aquitaine, nommé #Enter, est une piste possible pour donner envie de changer de rapport à la sobriété.

Sobriété heureuse

Pouvoir changer notre rapport à la sobriété, c’est aussi pouvoir s’appuyer sur des exemples que la sobriété heureuse est possible. C’est ce que s’emploie à faire Fairphone, entreprise qui produit des Smartphone durables et réparables. « Notre enjeu chez Fairphone est de faire un téléphone durable, vis-à-vis de la planète et des gens qui le fabriquent » indique Agnès Crépet, Responsable Longévité logicielle chez Fairphone. 

Pour elle, convaincre de garder son téléphone plus longtemps ou de le réparer passe par un changement d’imaginaire : « notre approche chez Fairphone est plutôt low-tech. Les low-tech posent des contraintes avec lesquelles il faut composer pour apprendre à concevoir, mais il ne faut pas opposer rêve et low-tech. »

Faire rêver de l’approche low-tech, pour Agnès Crépet, c’est faire en sorte de sortir de « l’imaginaire du retour à la lampe à huile ». Elle croit beaucoup en le rôle de la fiction, en particulier de la science-fiction, pour créer de nouveaux imaginaires. « De nombreux auteurs et autrices proposent de réinventer l’image de la science-fiction avec une représentation de cet univers à travers la low-tech. L’écrivain Alain Damasio, par exemple, propose cette voie. Il invite à reconsidérer la science-fiction à travers des imaginaires plus sobres ».

Une approche low-tech est aussi, pour Agnès Crépet, une invitation à faire un pas de côté : « envisager de remettre les gens à la place de la technologie permet de se poser la question de la nécessité de passer par la technologie pour résoudre le problème que l’on a ».  

Ce pas de côté, cette approche résolument humaniste de la low-tech influe aussi sur le modèle économique de l’entreprise. « Quand on recherche plus de circularité, on recherche une meilleure répartition de la valeur créée » indique l’experte en obsolescence logicielle, « cela conduit nécessairement l’entreprise à réaliser moins de profit ». Agnès Crépet y voit là la cohérence avec le modèle d’entreprise de Fairphone. L’entreprise néerlandaise a le statut de social enterprise, l’équivalent du statut de coopérative en France.

Donner envie de s’adapter

« Notre objectif chez Fairphone est d’inspirer toute une industrie pour qu’elle se transforme et s’adapte » reprend Agnès Crépet, « si on est seul à avancer de notre côté, cela n’a aucun intérêt. On doit inspirer les autres à adopter notre modèle qui œuvre à plus de justice sociale, de durabilité, de réparabilité et de circularité ».

Pour Agnès Crépet, l’enjeu est clair : Fairphone a une mission qui est d’aider la filière à se transformer. Et pour Christophe Pham, fondateur d’Infogreen Factory «  les entreprises ont tout à gagner à s’adapter au plus tôt. Le catastrophisme ne marche plus et ne pousse pas à l’action. »

Pour l’un comme pour l’autre, l’adaptation, à travers la low-tech, la circularité ou d’autres démarches de sobriété sont des moyens de mise en action. Ils permettent de retrouver des chemins justes, plus viables à travers une démarche qui sort du constat et permet de trouver des nouvelles solutions pour réellement tenir compte des limites planétaires. Et de rappeler que c’est aussi aux médias de parler de ces modèles pour les faire connaître et inspirer d’autres entreprises. Dont acte.

Ils ont pris la parole sur GreenTech Forum 2023

Agnès Crépet (Fairphone) & Christophe Pham (Infogreen Factory) ont pris la parole lors de la conférence : « Le numérique et la société : risques, bénéfices et transition juste »

› Détails de la conférence

Anaïs Dubois (TeleCoop) a pris la parole lors de la conférence : « Comment concilier (R)évolution des architectures réseaux et sobriété numérique ? »

› Détails de la conférence

Auteur de l'article : Rémy Marrone pour GreenTech Forum

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