Les acteurs de la formation et de la sensibilisation ont un rôle clé à jouer pour faciliter la montée à bord des entreprises sur les enjeux du numérique responsable. Devant des niveaux de maturité très variables et des besoins qui diffèrent, ces acteurs s’adaptent pour tenter de répondre au besoin exprimé et aussi emmener les équipes plus loin.
La première étape de sensibilisation reste essentielle pour les entreprises, à l’instar des témoignages partagées par un certain nombre d’Entreprises de Services Numériques (ESN) sur les enjeux d’évaluation de l’empreinte. Des associations comme Latitudes et la Fresque du Numérique l’ont bien compris.
« Aujourd’hui, les entreprises qui viennent nous voir, sont très volontaires et impliquées. » décrit Joséphine Mouton, en charge du déploiement dans l’enseignement et à l’international pour la Fresque du Numérique, « ce sont elles qui viennent nous voir avec l’envie, soit de bénéficier d’un atelier de teambuilding qui a du sens, soit de vraiment sensibiliser des équipes qui sont en prise directe avec des problématiques liées au numérique ».
La Fresque du Numérique est un atelier de sensibilisation aux impacts environnementaux du numérique qui existe depuis 4 ans. Cet atelier s’appuie sur les principes fondateurs de la Fresque du Climat pour faire prendre conscience de l’empreinte du numérique et proposer des pistes d’action. Déjà plus de 70 000 personnes ont participé à une Fresque du Numérique.
« Les entreprises qui s’adressent à nous ont encore du mal à dépasser l’enjeu de sensibilisation. C’est à nous de les emmener plus loin pour leur montrer l’intérêt de vraiment creuser le sujet » reprend Joséphine Mouton. La Fresque du Numérique adapte parfois l’atelier pour coller précisément aux attentes de l’entreprise. Sans modifier son contenu, l’animateur va s’attarder sur certains aspects pour faire l’emphase sur des problématiques quotidiennes de l’entreprise.
« Par exemple, les ESN sont souvent très intéressées par les sujets d’écoconception donc durant l’atelier on passe plus de temps sur ces sujets », abonde Joséphine Mouton. A ses yeux, le rôle de la Fresque du Numérique est aussi de montrer aux clients l’ensemble des enjeux « même ceux qui peuvent leur paraître mineurs » pour qu’ils aient une meilleure vue d’ensemble du sujet. « Nous nous devons d’apporter de la conscientisation sur tout le spectre des impacts du numérique ».
Pour Tom Lann, directeur de programmes de Latitudes, association qui déploie des programmes pour contribuer à une culture tech d’intérêt général, le constat est le même sur l’enjeu de faire prendre conscience de manière globale des enjeux. Si la Fresque du Numérique traite uniquement des impacts environnementaux du numérique, Latitudes s’est fixée pour mission de travailler de manière élargie sur les enjeux socio-environnementaux du numérique, « Notre mission est d’éveiller la curiosité et l’esprit critique sur le numérique pour agir en connaissance de cause ».
Pour cet expert des sujets numérique responsable, passés entre autres par Simplon.co, avant de rejoindre Latitudes, le travail de sensibilisation est un chantier encore immense. « Il faut déconstruire les clichés sur le numérique. La prise de hauteur sur le sujet est nécessaire mais pas toujours facile à obtenir » détaille-t-il, « à titre d’exemple, parfois les gens sont surpris qu’on les sensibilise aux enjeux de la tech avec des cartes à jouer et sans ordinateur ».
Pour lui néanmoins, il voit une chance importante pour Latitudes et les autres organisations qui œuvrent à sensibiliser et former au numérique responsable : le fait que ces enjeux soient de plus en plus relayés. « Aujourd’hui, notre porte d’entrée auprès des entreprises est plus large car de plus en plus de monde parle de numérique responsable ».
A ses yeux, c’est néanmoins de la direction que tout part. On voit globalement que les grands comptes prennent les sujets à bras le corps. Il y a bien sûr la peur de s’exposer à d’éventuelles sanctions qui font bouger mais pas seulement, il y a aussi la conviction de salariés en interne. En revanche, chez les TPE/PME, c’est plus variable et certaines entreprises ayant un long historique sont souvent, selon Tom Lann, les plus difficiles à bouger du fait d’une direction qui n’arrive pas à se mettre en transition.
« Si les salariés en interne arrivent à exercer suffisamment de pression, ils peuvent faire bouger les choses », renchérit-il, « c’est le rôle de nos programmes de mobilisation citoyenne de favoriser la prise de conscience du plus grand nombre pour que les participants portent ensuite les bons messages dans leur écosystème ; leur entreprise en fait partie. »
Enfin, les nouvelles entreprises, engagées à travers leur modèle de gouvernance et leur modèle d’affaires et qui mettent les enjeux RSE au cœur de leurs stratégies, constituent un levier important pour engager les autres organisations. « Par les modèles qu’elles déploient, elles inspirent en montrant que c’est possible et encouragent les autres à tendre vers un modèle plus responsable » selon Tom Lann.
Les freins relevés par Tom Lann, sont aussi partagés par Sandrine Deblais, responsable Business Unit “accompagnement au changement” au sein de l’entreprise Klee Group. « Nos clients sont de plus en plus réceptifs aux enjeux de sensibilisation au numérique responsable, mais comment leur faire passer le pas d’aller plus loin ? La réponse n’est pas toujours simple ».
Chez Klee Group, PME d’environ 900 talents, créatrice de solutions digitales métiers, créée en 1987, la transition écologique est placée au cœur des enjeux. L’entreprise, dont les trois fondateurs sont toujours à la tête, prend le sujet de l’écoconception à bras le corps pour mieux servir leurs clients. « La gamification est par exemple un facteur d’engagement assez important. » rapporte Sandrine Deblais, « on essaie d’avancer méthodiquement pour amener vers le passage à l’action ».
Pour cela, Klee Group travaille en premier lieu cette notion d’engagement à travers des ateliers participatifs, comme la Fresque du Numérique. L’enjeu se situe ensuite autour du changement de culture, ce qui nécessite « d’embarquer les managers ». Enfin, Klee Group travaille autour de l’« ancrage ». « L’ancrage mémoriel est essentiel pour que le travail accompli soit suivi dans le temps » précise Sandrine Deblais « pour cela, on met en place de l’animation de communauté, des plateformes numériques, des points réguliers avec nos clients et on évalue l’atteinte des objectifs. »
Quel que soit leur niveau de maturité, Klee Group continue son travail d’essaimage auprès de ses clients pour favoriser le passage à l’action. Et l’entreprise le sait par ailleurs, plus ses équipes seront en capacité de porter le sujet, plus les clients seront à même de franchir le pas. C’est pourquoi Klee Group forme ses équipes à l’écoconception avec des acteurs reconnus dans le milieu.
Ces formations à l’écoconception de services numériques, Margaux Escande les connaît bien. Elle est formatrice sur ces enjeux avec le Collectif IT’s on us. Membre également du Collectif Green IT, Margaux Escande porte un regard avisé sur le niveau de maturité actuel des entreprises. A l’instar de Tom Lann de Latitudes, elle fait le constat que le sujet monte peu à peu et s’intègre au cœur des enjeux RSE des entreprises et dans les offres des prestataires. « A l’heure actuelle, il y a de plus en plus d’offres existantes, notamment sur la partie sensibilisation, c’est bien pour faire émerger le sujet mais il y a un revers à cela », précise Margaux Escande « les entreprises ont souvent l’impression d’avoir déjà de bonnes connaissances des enjeux environnementaux car elles ont fait beaucoup de sensibilisation, mais ce n’est pas forcément le cas ».
De fait, dans ces formations d’écoconception dont le contenu a été conçu par GreenIT.fr, Margaux Escande constate souvent qu'il est nécessaire de bien revenir aux fondamentaux de l’empreinte environnementale du numérique. Pour elle, la compréhension de ces enjeux et plus globalement des enjeux environnementaux est indispensable pour pouvoir parler d’écoconception d’une seule voix.
Les formations d’écoconception ont aussi vocation a bousculé l’organisation. Tout d’abord, la formation réunit l’ensemble de l’équipe projet ce qui permet d’adresser le sujet de manière élargie. « Il faut éviter au maximum de travailler en silo pour pouvoir mener des projets d’écoconception ambitieux » détaille Margaux Escande. Ainsi, les équipes de développement technique, Ux, design, gestion de projet, etc. sont toutes réunies autour de la table pour apprendre à repenser la manière de concevoir un service numérique.
Ensuite, cette spécialiste des enjeux Green IT y voit un moyen de questionner le modèle économique des services conçus. « Les entreprises s’attendent à parler technique et comment optimiser un service numérique. Les aspects Ux, SEO ou encore de maintenance, sont d’ailleurs relativement clairs » détaille-t-elle, « mais les entreprises ne s’attendent pas forcément à aller aussi loin et questionner leur modèle économique. C’est tout l’intérêt de nos formations de les emmener au-delà de leur perception première du sujet. »
Margaux Escande explique l’approche du Collectif Green IT autour de l’écoconception, une approche reposant sur quatre niveaux. « Le premier niveau permet de s’approprier les enjeux techniques pour mieux optimiser un service, alors que le quatrième se penche clairement sur le modèle économique et cherche à le remettre en question ». Entre les deux, les niveaux deux et trois apportent une réponse progressive pour passer de la réponse technique à la réponse systémique.
« Dans une organisation verrouillée, on sait qu’on va buter sur le niveau quatre, mais c’est justement intéressant d’arriver à mettre les questions du modèle économique au cœur des interrogations de l’entreprise ». L’écoconception essaie de cette manière, de pousser les entreprises à se repenser, et non se contenter de seulement optimiser techniquement un service numérique.
C’est bien tout le défi des acteurs de la sensibilisation et de la formation au numérique responsable : éveiller les consciences sur l’ensemble des enjeux du numérique et favoriser le passage à l’action sur une dimension beaucoup plus large qu’une simple dimension technique. Alors même si le chemin est encore long et les freins nombreux, la notoriété grandissante des enjeux autour d’un numérique plus responsable est un atout indéniable. Aux acteurs de continuer à créer les bons vecteurs pour apporter la prise de recul nécessaire sur les enjeux numériques et favoriser la transition écologique des organisations.
Joséphine Mouton (Fresque du Numérique) est à retrouver sur GreenTech Forum 2023 lors de la conférence : « La formation et le transfert de compétences au service du déploiement d’un numérique plus responsable ? », le 21 novembre 2023 à 12h30.
Tom Lann (Latitudes) est à retrouver sur GreenTech Forum 2023 lors de la conférence : « Comment accélérer la transition écologique et solidaire dans les métiers de la Tech ? », le 22 novembre 2023 à 15h30.
Sandrine Deblais (Klee Group) est à retrouver sur GreenTech Forum 2023 lors l'atelier : « Et si un parcours de formation Numérique Responsable était un facteur d'engagement pour vos équipes ? », le 21 novembre 2023 à 15h.
Margaux Escande (IT’s on us) est à retrouver sur GreenTech Forum 2023 lors de la conférence : « Comment concevoir un dispositif IoT sobre (capteur, réseau, données) ? », le 21 novembre 2023 à 15h30.
Auteur de l'article : Rémy Marrone pour GreenTech Forum