Capgemini publie un rapport en janvier 2025 pour mieux expliquer l’impact environnemental de l’intelligence artificielle (IA) sur l’ensemble de son cycle de vie, cerner l’attitude des entreprises face à ces enjeux, et proposer des pistes de solution pour en limiter l’empreinte. Si ces moyens existent, les entreprises ne s’en saisissent pas encore et projettent déjà une augmentation de leur empreinte globale.
« Il y avait une volonté de notre entreprise de se saisir du sujet » explique Caroline Vateau, Directrice numérique responsable de Capgemini, « comme pour toutes les nouvelles technologies, l’innovation avance rapidement ; avec ce déploiement massif de l’IA, la question de l’empreinte environnementale devient prégnante. ». Cette publication, intitulée “Developing Sustainable Gen AI” est, pour Caroline Vateau, essentielle pour mieux comprendre l’impact environnemental de l’IA.
« L’idée était de récupérer des chiffres clés et éclairer sur les enjeux. On a abordé toutes les phases du cycle de vie des projets et des éclairages multi-critères sur les différents impacts environnementaux » poursuit-elle. L’enjeu du rapport, c’est aussi d’illustrer avec des retours d’expérience, d’apporter leviers d’écoconception et de favoriser l’adoption de certaines bonnes pratiques.
Parmi les éclairages sur les différentes phases du cycle de vie de l’IA, le rapport rappelle que près de la moitié des émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à la production des cartes graphiques nécessaires aux opérations d’IA générative proviennent de l'extraction de terres rares.
Il permet également de revenir sur les éléments connus aujourd’hui sur l’entraînement des modèles d’IA. Si cette phase est particulièrement impactante selon les modèles développés et le nombre de paramètres qu’ils comptent, c’est bien la phase dite d’inférence, c’est-à-dire de réponses aux requêtes des utilisateurs finaux, qui requiert le plus d’énergie.
« 42% des executives déclarent devoir revoir leurs objectifs climatiques à cause de l’IA » relève Caroline Vateau, « au niveau France, ça ne m’étonne pas, mais au niveau mondial, c’est plutôt surprenant ! » Cela met en évidence que les alertes sur l’empreinte de l’IA portent leur fruit en matière de prise de conscience. Il faut dire que les annonces n’ont pas arrêté de se succéder notamment de par les GAFAM elles-mêmes, à l’instar de Google et Microsoft qui ont reconnu en 2024 l'augmentation de leurs émissions de CO2 dû au développement de l’IA.
Et il n’y a pas que la consommation d’électricité qui est pointée du doigt. La consommation d’eau est elle aussi dénoncée par les médias et les ONG. À titre d’exemple, le célèbre journal Financial Times a consacré au moins trois articles à ce sujet en février, juillet et août 2024 pour expliquer les inquiétudes quant à l’accroissement de la consommation d’eau par Microsoft et Google en particulier.
Et ces chiffres devraient continuer à augmenter devant l’adoption rapide de l’IA générative. Une autre récente étude de Capgemini montrait que si seulement 6 % des organisations avaient intégré l’IA générative dans leur activité à la fin de 2023, ce chiffre est passé à 24 % en octobre 2024. « Une phase d’expérimentation qui doit se faire » explique Caroline Vateau, « l’IA générative se fait dans beaucoup de départements d’entreprises, sur différents cas d’usage. »
À ses yeux, lorsque les services créés deviendront structurants, les entreprises mettront des règles et des process. « Avec un tel engouement technologique et de potentiels de cas d’usage sur l’ensemble des métiers, tout le monde a envie d’explorer » poursuit-elle, « les sujets sont beaucoup en phase de POC [Proof Of Concept] et pas encore déployés à l’échelle. Ce déploiement se fera avec l’intégration de la dimension environnementale. »
Un des premiers enjeux du passage à l’échelle sera donc d’évaluer pour éviter que les cas d’usage développés ne viennent gonfler la facture environnementale et budgétaire. « Plus de 82% des executives déclarent vouloir mesurer l’impact de leur programme d’ici 12 à 24 mois, c’est positif » reprend Caroline Vateau, « surtout que seulement 12% le font actuellement. »
L’étude nous apprend que près de la moitié (48 %) des cadres dirigeants estiment que leur utilisation de l’IA générative a entraîné une hausse de leurs émissions de GES. Selon Capgemini, cette augmentation de l’empreinte carbone devrait continuer à croître. Les organisations qui mesurent actuellement l’empreinte environnementale de leur IA générative s’attendent à ce que la part de leurs émissions liées à cet usage par rapport à leurs émissions totales augmente, en moyenne, de 2,6 % à 4,8 % au cours des deux prochaines années.
Pour autant, les évaluations restent encore délicates compte tenu du manque de transparence du secteur. Par exemple, Ecologits, un outil français de référence et open source en matière d’évaluation de l’empreinte de l’IA générative, est obligé d’estimer l’empreinte environnementale de l’utilisation de ChatGPT ou encore Mistral AI à partir d’extrapolations et non de mesures directes. Ces extrapolations sont issues de données mises à disposition par Hugging Face, une plate-forme franco-américaine qui héberge en open source de nombreux modèles de langage d’IA générative (LLM).
L’évaluation pour les entreprises est d’autant plus complexe que, selon Capgemini, plus des trois quarts des organisations n’utilisent que des modèles pré-entraînés et seulement 4 % construisent leurs propres modèles. Ainsi, près de trois quarts des executives estiment qu’il est difficile de mesurer l’impact de cette technologie.
Un autre grand défi de la mesure sont les avancées très rapides des technologies de l’IA. « Les technologies changent de mois en mois, évoluent très vite » estime Caroline Vateau, « mais les modèles d’évaluation arrivent moins vite que les technologies ». Pourtant, à ses yeux, l’évaluation est clé : « il faut pouvoir maintenir le ratio d’évaluation pour orienter vers les pratiques les plus durables possibles. »
Autant d’éléments de contexte qui peuvent faciliter la prise de décision sur l’intérêt de déployer un projet à l’échelle. « Il faut un alignement fort entre directions IT, RSE et métiers pour prouver la nécessité d’une solution » précise Caroline Vateau, « cela passe par l’apport de chiffres clés et des constats partagés. »
Le rapport esquisse par ailleurs une feuille de route pour proposer des pistes de solution afin de réduire l’empreinte de l’IA, même si tous les paramètres d’évaluation ne sont pas connus. La roadmap apporte des propositions tant du point de vue technique que stratégique.
Dans ce cadre, Capgemini propose 5 axes de réflexion : 1) identification de la bonne technologie, 2) exploration de pistes techniques pour réduire l’empreinte de l’IA générative, choisir des partenaires plus durables et mieux mesurer, 3) intégration de l’IA générative au service de la transition écologique de l’entreprise, 4) travail sur les données, 5) établissement d’une gouvernance.
« Il y a un chiffre particulièrement intéressant dans cette partie de l’étude : 55% des executives, estiment qu’intégrer des critères de durabilité dans la sélection de leur fournisseur d’IA peut être un levier clé pour réduire l’empreinte environnementale de leurs applications d’IA générative » relève Caroline Vateau, « cependant, pour l’heure, seulement 15% le font réellement. »
L’IA peut aussi être un levier pour la transition écologique. À ce titre, l’étude révèle qu’un tiers des cadres dirigeants utilisent l’IA générative pour des initiatives durables et deux tiers déclarent s’attendre à une réduction de plus de 10 % de leurs émissions de GES dans les trois à cinq prochaines années grâce aux initiatives durables rendues possibles par l’IA générative.
Toutefois, Capgemini le note, cette perspective doit être prise avec prudence, étant donné le nombre limité d’entreprises qui mesurent l’empreinte environnementale de leur usage de l’IA générative.
Les pistes sont donc nombreuses pour penser une IA générative plus durable. Dans tous les cas, il reste essentiel de questionner les choix faits car ces technologies apportent toujours plus d’accélération et de productivité, potentiellement au détriment d’une consommation raisonnée indispensable pour diminuer la pression sur les limites planétaires d’une part, et potentiellement au détriment du bien-être des salariés des entreprises d’autre part.
D’ailleurs, le rapport recommande qu’« il est important pour les organisations de commencer par le problème, et non par la technologie ». Capgemini vient ici questionner les choix technologiques et mettre en évidence que l’IA (générative en particulier) n’est pas l’unique solution à un problème. Le rapport aurait même pu pousser les organisations à réfléchir à des alternatives sans technologie : une voie aussi sans doute possible pour plus de résilience, de sobriété et mieux redonner sa juste place au numérique.
Caroline Vateau est Directrice Numérique Responsable chez Capgemini.
Capgemini est intervenu en 2024 lors de GreenTech Forum à l’occasion de 2 tables rondes : « RISC-V, RUST... face aux contraintes de souveraineté et d’environnement, le monde de l’embarqué accélère sa transformation vers l’open source » et « Impact environnemental du numérique et cybersécurité : enjeux et leviers »
Auteur de l'article : Rémy Marrone pour GreenTech Forum