Alors que la loi REEN aura deux ans le 15 novembre 2023, la pression s’accentue sur les territoires pour se mettre en conformité. Face à une loi nouvelle qui leur demande de réduire leur empreinte numérique, tous les territoires concernés ne parviennent pas à se saisir du sujet avec la même maîtrise des enjeux et se retrouvent parfois un peu démunis.
Parfois, le terrain rappelle la loi à l’ordre, et non le contraire. La loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique, dite loi REEN, oblige les territoires à travailler spécifiquement sur la partie « numérique responsable » de leur politique. Mais alors qu’un certain nombre de territoires sont encore en train d’effectuer leur transition numérique, c’est déjà une autre transition qui leur est demandée de faire. Autant de contraintes qu’il n’est pas forcément facile d’intégrer faute parfois de connaissances suffisantes de ces enjeux, ou de temps et de moyens disponibles.
Assurément, travailler de concert la transition écologique et la transition numérique peut permettre une meilleure prise en compte des enjeux. Néanmoins, est-ce compatible avec la réduction de l’empreinte que demande la loi ? C’est la question que pose Fabien Zaccari, Directeur Système d’Information de MACS (Maremme Adour Côte-Sud), une communauté de communes du sud-ouest réunissant 23 villes et 70 000 habitants.
« Nous sommes amenés à proposer de plus en plus de services numériques à nos habitants par nécessité, nous trouvons dommage que la loi impose de définir des objectifs de réduction de l’empreinte ». Ce qu’on peut qualifier d’IT for human peut effectivement avoir un coût environnemental, mais si son impact social positif est supérieur, il convient de pondérer l’impact environnementale pour ne pas renoncer à la solution numérique.
« De même, quand on distribue 2 500 tablettes numériques à des élèves du CE2 au CM2, il y a un enjeu social à le faire » renchérit Fabien Zaccari, « On ne peut pas réfléchir qu’en silo, il faut une vision globale des enjeux ».
La loi REEN est un des premiers outils législatifs orientés à 100% sur les enjeux « numérique responsable ». En novembre 2021, elle intronise ainsi une série de mesures s’adressant à tous les acteurs de la chaîne de valeur du numérique (professionnels du secteur, acteurs publics et consommateurs). Objectif : réduire l’empreinte environnementale du numérique.
Dans cette loi, les axes développés sont : la formation, le reconditionnement et durabilité des équipements, l’écoconception de services numériques, les data centers et, ce qui nous intéresse en particulier aujourd’hui, le rôle des territoires.
C’est dans l’article 35 de la loi REEN que les territoires sont visés : “Les communes de plus de 50 000 habitants [et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants] définissent, au plus tard le 1er janvier 2025, une stratégie numérique responsable qui indique notamment les objectifs de réduction de l'empreinte environnementale du numérique et les mesures mises en place pour les atteindre”.
En plus de cette stratégie, il est demandé aux territoires de mettre en place un programme de travail comprenant un “bilan de l'impact environnemental du numérique et celui de ses usages sur le territoire concerné”. Ce point là s’avère particulièrement crispant pour les territoires les moins mâtures sur ces sujets. D’une part, le périmètre de l’évaluation et le niveau de précision de la mesure demandés restent flous et donc sujets à interprétation. D’autre part, le choix des outils et méthodes d’accompagnement peuvent s’avérer complexes face à la profusion d’options disponibles.
Le périmètre de l’évaluation de l’empreinte environnementale est le premier paramètre à résoudre. Au sein de MACS, Fabien Zaccari gère l’ensemble de la partie informatique pour les 23 communes, « on a mis en place un transfert de compétences de manière à centraliser la gestion de l’IT au sein de l’intercommunalité ». Cette gestion centralisée facilite l’évaluation de l’impact du parc informatique. Pour Fabien Zaccari, qui a amorcé le travail autour de l’empreinte environnementale du numérique depuis 4 ans, cette étape n’est pas un obstacle.
En revanche, sa lecture de la loi lui impose de ne pas travailler seulement sur ce périmètre. « Certains territoires ont fait le choix de ne s’intéresser qu’à l’empreinte de leur parc informatique et aux usages associés directement. Nous, nous préférons un projet plus ambitieux en s’intéressant à tout ce qui se passe sur notre territoire. »
Porter un projet ambitieux, c’est aussi la proposition de Benjamin Lang, expert numérique responsable, spécialiste des stratégies numérique responsable des collectivités et fondateur du cabinet Aelan : « à mon sens, ne regarder que le système d’information interne de la commune ou de l’EPCI, n’a que peu d’intérêt. C’est chronophage et ne met pas en mouvement le territoire. En revanche, aller sur le terrain, questionner les usages numériques, travailler sur l’ensemble du maillage, là on a un projet plus intéressant ». A travers ces mots, le consultant appelle à ce que ce bilan environnemental puisse permettre d’impulser un véritable projet de territoire.
Benjamin Lang relève également toute la difficulté pour les communes et les EPCI à coordonner leurs évaluations sans recoupement. « Selon les tailles de communes et EPCI, il devient compliqué de valider le périmètre de chacun. A titre d’exemple, les écoles, collèges et lycées sont un casse-tête pour les DSI ».
Si certains territoires ont pris à bras le corps le sujet, ce n’est pas le cas de tout le monde pour Benjamin Lang, « On voit que certaines Directions SI qui ne s’étaient encore jamais posées de questions sur ces sujets, sont amenées à le faire avec la loi. D’autres en revanche passent complètement à côté ; la loi n’étant pas contraignante pour l’heure ».
En effet, pas de sanction à l’horizon. Pour l’instant. Pour un territoire non mâture sur ces sujets, il est évident que travailler sur la loi REEN représente des difficultés. La première est la montée en compétences nécessaire pour maîtriser les enjeux. La seconde est le temps et les moyens à dédier à ce sujet. La priorisation ne va donc pas naturellement à ce sujet.
Pour le DSI de la communauté de communes MACS, Fabien Zaccari et le consultant Benjamin Lang, les lois pourraient même imposer des injonctions contradictoires. Par exemple, la loi REEN impose un taux important de matériel à céder en reconditionnement. « On va monter à 50% de matériel chaque année à réemployer ou réutiliser. C’est beaucoup pour des petites communes qui parfois utilisent leur matériel jusqu’à leur fin de vie sans chercher à le renouveler. La loi pourrait les pousser à renouveler leur matériel plus rapidement. » indique Benjamin Lang.
Même son de cloche pour Fabien Zaccari qui met en perspective la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) et la loi REEN. « La loi AGEC impose 20% d’équipements reconditionnés dans les achats de matériel, mais c’est complexe à l’échelle d’une petite commune » rappelle-t-il. Lorsque le matériel est renouvelé, c’est donc sur des petits lots et Fabien Zaccari se doit d’apporter une cohérence entre le matériel de chaque commune, entre autres, par souci de sécurité. « Sur une commune de 800 habitants, on a par exemple une personne au secrétariat, c’est tout » s’agace le DSI, « il ne faut pas se leurrer, les reconditionneurs ne veulent pas éclater leurs lots pour nous car ils veulent les adresser à des grosses structures ».
La loi REEN a ses écueils car la réalité des territoires est très diverse et il est difficile de répondre à toutes les situations de manière égale. Mais de l’avis de Benjamin Lang, « la loi a le mérite de faire en sorte que ceux qui ne travaillaient pas ce sujet, se posent désormais des questions et commencent à se mettre en mouvement ».
Pour le consultant en numérique responsable, une difficulté s’ajoute néanmoins à ces territoires peu mâtures sur les enjeux de réduction de l’empreinte du numérique : la profusion d’outils à leur disposition. « C’est bien qu’il y ait une diversité d’outils à leur disponibilité avec des même des outils gratuits, mais ce n’est pas forcément facile de se les approprier quand on débute car ils peuvent être complexes ni de comprendre comment ils s’articulent » regrette Benjamin Lang.
Il faut dire que dernièrement plusieurs acteurs ont mis à disposition des collectivités des outils d’évaluation et méthodes pour préparer leur stratégie sans que ces démarches paraissent coordonnées. On peut citer les outils de l’ANCT (Agence Nationale de la Cohésion des Territoires) et ceux des Interconnectés en partenariat avec l’Institut du Numérique Responsable (sur lesquels nous reviendrons dans un prochain article).
Permettre aux collectivités de monter à bord de ces enjeux essentiels, c’est apporter des solutions lisibles pour faciliter l’appropriation par le plus grand nombre. Comme Gaëlle Floch, référente Green IT de Moët Hennessy nous le confiait, c’est important que le débat d’experts existe pour faire progresser les outils et méthodes, mais il doit rester entre experts ; les organisations utilisatrices doivent pouvoir se référer à des outils le plus simplement possible en fonction de leurs problématiques.
Pour Fabien Zaccari, Directeur SI de MACS, le décloisonnement des sujets est aussi un autre enjeu. « La Loi REEN a ses vertus mais elle limite le périmètre à l’empreinte environnementale du numérique, or pour mener une politique cohérente nous avons besoin de prendre en compte l’ensemble des impacts ; sortir des fonctionnements en silo est essentiel ».
Sortir des fonctionnements en silo c’est, pour Fabien Zaccari, entre autres, rapprocher les sujets d’écoconception et d'accessibilité auxquels ils s’attellent sur leurs services numériques. C’est aussi prendre en compte les enjeux de sécurité lors du renouvellement des équipements ou de l’installation de nouveaux réseaux. « Sur la partie téléphonie en particulier, il faut absolument pouvoir installer systématiquement les dernières versions d’OS pour éviter les failles de sécurité, ce qui n’est pas forcément possible sur du matériel dont on cherche à trop prolonger la durée de vie ».
« Il y a aujourd’hui dans la loi REEN une volonté de faire baisser l’empreinte environnementale du numérique mais il faudrait aussi prendre en compte ce que le numérique permet d’une part, et les contraintes réelles qui pèsent sur nos territoires pour faire un numérique souverain, éthique, sécurisé, adressé au plus grand nombre dans un esprit de services publics d’autre part » estime Fabien Zaccari.
Décloisonner fait partie des enjeux essentiels pour créer un numérique vraiment responsable. Si l’esprit de la loi REEN n’est pas encore tout à fait celui-ci, elle permet la mise en mouvement et l’acculturation à une réflexion sur comment repenser notre modèle numérique pour aller vers un numérique plus responsable. Elle pose en creux la question de à quoi ressemblera la ville et les territoires (connectés) de demain. Des territoires à la croisée du Green IT et de l’IT for Green IT ?
Fabien Zaccari (DSI MACS) est à retrouver sur GreenTech Forum 2023 lors de la conférence : « De l’ambition à l’action : comment structurer et mettre en œuvre une stratégie de numérique responsable au sein d’une PME/ETI ? », le 21 novembre 2023 à 14h.
Benjamin Lang (Expert Numérique Responsable - Fondateur Aelan) est à retrouver sur GreenTech Forum 2023 lors de la conférence : « Comment accélérer la transition écologique et solidaire dans les métiers de la Tech ? », le 21 novembre 2023 à 15h30.
Auteur de l'article : Rémy Marrone pour GreenTech Forum