Ballottée par l’Etat en France, questionnée au plus haut sommet de l’Union européenne (UE), la réglementation sur le reporting de durabilité (CSRD) entre en zone de turbulences. Pourtant, elle engage les entreprises dans un travail de fond qui peut se révéler être un véritable game changer dans la prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux dans leur activité.
« Nous nous devons de debunker certains préjugés sur la CSRD ». C’est le ressenti d’Adeline Agut, présidente et co-fondatrice de Rezofora, cabinet d’accompagnement RSE et Numérique Responsable. C’est aussi ce qu’elle a défendu lors de la table ronde à laquelle elle participait lors de GreenTech Forum 2024, intitulée « concilier efficacement sa stratégie numérique responsable et les nouvelles réglementations liées à la CSRD ».
Elle était accompagnée, entre autres, d’une autre experte sur cette table ronde, Anaïs Chung Segonds, consultante en stratégie RSE chez BL évolution, un autre cabinet conseil sur les sujets RSE. Toutes deux partagent cette même vision de la CSRD : une opportunité d’abord pour qu’enfin les entreprises prennent véritablement en compte les enjeux environnementaux et sociaux dans leur stratégie globale.
Problème : la petite musique qui monte en ce moment est que la CSRD ne serait qu’un simple exercice de reporting qui augmenterait considérablement la bureaucratie des entreprises. Alors, la CSRD ne serait-elle donc qu’une gageure ? C’est bien l’avis de certains qui remettent en cause cette directive européenne.
En France, le premier ministre Michel Barnier a déclaré il y a quelques mois qu’il souhaitait un “moratoire” sur la CSRD. Ursula Von Der Leyen, présidente de la Commission européenne, a plus récemment évoqué qu’elle aimerait proposer les moyens “de réduire la bureaucratie et de réduire les charges liées aux reportings”. Pourtant, à bien y regarder, la CSRD est certes un exercice difficile mais pourtant un pas essentiel pour la pérennité des organisations demain.
Penser la réussite de l’entreprise à l'échelle de un ou même trois ans, est un pari risqué dans un monde en mouvement, particulièrement chahuté par le dérèglement climatique. Anticiper le monde de demain, un monde en surchauffe, sous contrainte, fait d’aléas climatiques toujours plus extrêmes et fréquents ne s’improvise pas. Attendre maintenant, c’est assurément subir demain. Se saisir de la CSRD maintenant, c’est faire un pas vers une meilleure adaptation de l’entreprise demain.
Et d’ailleurs, c’est bien ce qu’on compris un certain nombre d’entreprises. Prêt pour embarquer ?
Sans balayer les tergiversations politiques, Adeline Agut (Rezofora) n’y accorde pas trop d’importance : « il y a cette idée qui émerge qu’il faudrait réduire le niveau de reporting. J’ai du mal à croire qu’on va faire complètement marche arrière sur ce texte très structurant. Ce n’est pas impossible qu’on fasse de l’allègement mais probablement pas plus. »
Son inquiétude se focalise plutôt sur le message envoyé : « pour des entreprises attentistes, qui y voient un sujet très complexe, cela peut leur donner un bon prétexte pour ne pas avancer ». Elle évoque notamment les entreprises de la deuxième vague (janvier 2026) : « elles peuvent être tentées d’attendre, pourtant les échéances sont proches. »
Le sentiment qui domine néanmoins Adeline Agut, est que les entreprises qui ont déjà fait le travail pour préparer leur reporting et qui ont fait des investissements, veulent continuer à y aller car elles ont dépassé certains blocages psychologiques. « L’accompagnement externe n’est pas forcément obligatoire ! » explique-t-elle, « il faut effectivement investir du temps - de formation et de mise en oeuvre - ou de l’argent mais il faut dédramatiser, c’est faisable. Et la connaissance qu’on y gagne en matière de risques et d’opportunités de durabilité pour son entreprise compense cet investissement.»
Elle mentionne ainsi l’importance de rationaliser la masse de travail : « Il faut dissiper certaines idées reçues », reprend-elle, « par exemple, il n’y a pas 1 200 points de données à collecter pour toutes les entreprises et il n’y a pas que du quantitatif, il y a aussi beaucoup de qualitatif ». Ainsi, le discours dominant aurait tendance à exagérer le travail à réaliser. Et de mentionner : « il y aura aussi une forme d’indulgence de la part des auditeurs les premières années ». Autant d’éléments pour rappeler l’importance d’y aller par étape sans repousser l’échéance.
S’y mettre maintenant, c’est donc saisir l’opportunité. C'est d’ailleurs ce que mentionne Adeline Agut : « la CSRD est un sujet stratégique, pas seulement un cochage de cases ; la CSRD aide à la transformation des entreprises, pour une économie durable et résiliente ». À ses yeux, la CSRD est un outil essentiel pour bâtir une roadmap vers la durabilité.
Pour Anaïs Chung Segonds de BL Evolution, il faut aussi sortir des discours qui consistent à exercer une forme de pression sur les entreprises en leur faisant percevoir le sujet comme une source de stress ou contrainte. « Je suis convaincue que c’est une opportunité » déclare-t-elle. Et ce à trois titres. Tout d’abord, le qualitatif est à son sens une opportunité de travailler sur le fond. « Cela peut correspondre à une politique, un plan d’actions, des objectifs » développe-t-elle, « en cela la CSRD donne les clés aux entreprises pour structurer leur plan de transition. »
En second point, Anaïs Chung Segonds explique comment les exigences de la CSRD sur l’analyse du modèle d’affaires et de l’impact de double matérialité questionnent l’entreprise. « Cela lui permet de se poser des questions et de prendre du recul sur son activité, ses impacts, sa création de valeur, les risque qu’elle encourt » détaille-t-elle, « c’est un exercice qui doit permettre à l’entreprise d’alimenter son plan stratégique. »
Enfin, Anaïs Chung Segonds mentionne l’enjeu de “désilotage” : « la CSRD engendre des discussions et permet la collaboration entre plusieurs directions, notamment Finance, RH, Achats et RSE ». C’est ce qu’elle observe au sein de certaines entreprises qui ont travaillé sur le sujet et qui permet de donner une place beaucoup plus stratégique à la RSE.
Les arguments ne manquent donc pas pour adopter les principes de la CSRD. « Nos clients sont convaincus que ça leur servira, donc ils y vont » reprend Anaïs Chung Segonds. Et d’ajouter : « et ceux qui ne voient que le réglementaire, c’est au moins une porte d’entrée. »
Pour elle, « si l’entreprise fait bien son analyse de double matérialité, pour se projeter à court, moyen et long terme, elle peut préparer une roadmap à 15/20 ans ! ». Et avec ce travail, une boucle vertueuse peut se mettre en place pour l’entreprise, notamment en communiquant sur le travail réalisé et les engagements pris.
Adeline Agut, présidente de Rezofora, l’explicite : « en publiant les chiffres, l’entreprise donne des informations aux investisseurs et au public pour montrer son engagement ». Dans cette optique, l’experte voit tout l’intérêt pour l’entreprise en matière d’image et d’investissement ; car l’UE n’a pas pensé la CSRD ex-nihilo. Elle est inscrite dans un arsenal qui la dépasse et qui ne peut qu’exercer un effet d'entraînement.
Adeline Agut le rappelle : « Au niveau de l’UE, il y a le Sustainable Finance Package ». Cet outil a pour but d’orienter les flux de financement vers les entreprises les plus vertes. « Si les entreprises s’engagent réellement en se confrontant à l’exercice de la CSRD, elles devraient donc penser leur pérennité à moyen et long terme » précise-t-elle, « mais également mieux capter les financements que ce soit du secteur privé ou du secteur public ».
Si vous avez déjà fait une fresque du climat, vous connaissez forcément les boucles de rétroaction négatives. Cette fois, voilà un bel exemple de boucle de rétroaction positive. À chaque entreprise désormais de s’en saisir !
Adeline AGUT, présidente et co-fondatrice de Rezofora, et Anaïs CHUNG SEGONDS, consultante en stratégie RSE chez BL évolution étaient speakers sur GreenTech Forum 2024 et participaient à la table ronde intitulée « Concilier efficacement sa stratégie numérique responsable et les nouvelles réglementations liées à la CSRD ».
Auteur de l'article : Rémy Marrone pour GreenTechForum