Si le numérique peut être un levier de la circularité, comme évoqué dans la première partie de ce dossier, il y a matière à se préoccuper de la circularité du numérique elle-même. Des initiatives des entreprises et des lois permettent d’avancer en ce sens.
Les chiffres concernant les déchets issus des équipements électriques et électroniques (DEEE), comprenant donc les déchets issus des équipements numériques, sont édifiants. Selon le dernier rapport Global E-waste Monitor 2024 publié par l’ONU, 62 millions de tonnes de DEEE ont été produits dans le monde en 2022. L’issue de 77,7% de ces déchets reste inconnue. Cela signifie que seuls 22,3% des déchets ont atteint les systèmes formels de gestion ou de recyclage. En 2022, les régions qui génèrent la plus grande quantité de déchets électroniques par habitant sont l'Europe (17,6 kg), l'Océanie (16,1 kg) et l’Amérique (14,1 kg).
Les déchets non traités sont éliminés dans des décharges illégales, au niveau national ou international, ou sont recyclés par des travailleurs informels. Le processus informel de recyclage est détaillé par l’OMS dans un rapport publié en 2021 sur le travail des enfants dans les décharges. Ce processus informel de recyclage des DEEE implique l'extraction de métaux précieux par divers moyens tels que la combustion en plein air, le chauffage ou la dissolution dans des acides tels que le cyanure de sodium, l'acide nitrique ou le mercure.
Ces pratiques de valorisation comportent des risques pour la santé des enfants et des travailleurs, exposés au mercure, au plomb, au cadmium et à d'autres substances dangereuses issues de la manipulation des plastiques et des métaux. Cette situation est d’autant plus préoccupante que selon le rapport de l’ONU, la production de déchets électroniques a été projetée pour chaque pays jusqu'en 2030, pour un total estimé à de 82 milliards de kg.
En France la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (loi AGEC) de 2020 est un des piliers de la circularité. Elle se décline autour de 5 axes : sortir du tout jetable, mieux informer les consommateurs, lutter contre le gaspillage et pour le réemploi solidaire, agir contre l’obsolescence programmée, mieux produire. Au niveau numérique, la loi AGEC se traduit notamment par l’indice de réparabilité (progressivement remplacé par l’indice de durabilité à partir de janvier 2025) apposé sur les produits et l’obligation pour les marchés publics d’introduire 20% d’achats d’équipements reconditionnés.
Aussi au niveau européen, les députés ont adopté en Avril 2024 un texte pour instaurer un droit à la réparation (right to repair). Les consommateurs pourront demander aux fabricants la réparation de produits tels que les smartphones, même après expiration de la garantie. Ce droit à la réparation fait notamment l’objet d’une forte mobilisation d’acteurs engagés pour la circularité à échelon européen.
Plus de 140 acteurs issus de 24 pays différents sont regroupés au sein de la coalition Right To Repair avec l’objectif de convaincre les instances européennes d’inscrire le droit à la réparation dans les textes de loi. Malgré le vote récent du Parlement européen sur ce droit à la réparation, la coalition estime qu’il faut aller plus loin pour marquer une véritable ambition pour la réparabilité des équipements.
L’association française Halte à l’Obsolescence Programmée (HOP) relève d’ailleurs sur la plate-forme X (ex-Twitter) que : « cette loi manque une occasion majeure de créer un marché de la réparation véritablement équitable en Europe et de garantir des solutions de réparation abordables pour la majorité des produits sur le marché européen. »
De nombreuses organisations se mobilisent pour favoriser plus de circularité dans le numérique. Par exemple, ikkan, dont nous parlions dans un précédent article de ce média, est une entreprise à mission qui œuvre pour des équipements numériques plus durables, à travers, entre autres, l’allongement de la durée de vie. Le préalable : la distribution de matériel fiable, performant et réparable, ou par exemple les parties les plus sensibles sont amovibles (batterie, clavier, connectique, etc.). Ensuite, c’est avec son modèle d’affaires que ikkan entre pleinement dans l’économie circulaire : les ordinateurs sont majoritairement loués au client.
La location, c’est aussi le choix qu’a fait Commown, une coopérative qui œuvre pour une électronique sobre et engagée. « Notre coopérative à un intérêt à faire durer le matériel et non à vendre. On ne vend jamais le matériel après un premier cycle de location » expliquait Adrien Montagut, co-fondateur de Commown dans nos colonnes en novembre dernier. Commown est distributrice d’équipements numériques. La coopérative s’entoure uniquement de partenaires faisant des produits robustes, conçus avant tout pour durer tels que Fairphone, Crosscall ou encore Why! Open Computing.
D’autres acteurs sont également particulièrement engagés à l’instar d’Emmaüs Connect à travers son initiative lacollecte.tech qui sollicite les entreprises pour la donation de leur matériel. Emmaüs Connect collecte les équipements numériques et travaille ensuite avec des reconditionneurs solidaires, tels que Ateliers Sans Frontières.
Ce chantier d’insertion aide des personnes fragilisées dans la construction de leur projet de vie à travers des activités solidaires à forte dimension sociale ou environnementale, telles que le recyclage ou encore la lutte contre la fracture numérique par la revalorisation d'ordinateurs. Le matériel reconditionné est ensuite remis à des personnes en situation de précarité sociale et numérique.
Les plateformes de vente d’équipements de seconde-main contribuent également à faire grandir l’économie circulaire. Pour revenir en Belgique (cf. partie 1 de ce dossier), nous pouvons citer aSmartWorld qui reconditionne dans ses ateliers smartphones et tablettes avant de les mettre en vente sur son site. Cette entreprise, créée par Geoffroy Van Humbeeck, speaker lors de GreenTech Forum Brussels 2024, s’engage aussi à travers sa fondation pour l’inclusion digitale.
Avec la Fondation pour l’Inclusion Digitale, aSmartWorld soutient différents publics touchés par la fracture numérique en Belgique. Elle a déjà distribué près de 1 000 appareils auprès de 10 associations partenaires. La Fondation s’engage aussi en engageant un travail de sensibilisation à l’exclusion numérique et au numérique responsable auprès des entreprises et du grand public. Ainsi, aSmartWorld s’engage auprès de nombreuses parties prenantes pour favoriser une meilleure prise en compte et la réduction des impacts environnementaux et sociaux du numérique.
Faire entrer le numérique dans une logique de circularité est essentiel pour en réduire l’impact. Le travail de l’Agence du Numérique en Wallonie (cf. partie 1 du dossier) est tout aussi intéressant car il montre comment le numérique peut être un levier pour accélérer l’adoption de la circularité par les entreprises. Sur GreenTech Forum Brussels 2024, L’Agence du Numérique aura un pavillon d’entreprises pour mieux exposer ce sujet. Un moyen assurément de bien rappeler que le numérique peut aussi être mis au service de la transition d’autres secteurs. Et peut-être aussi un moyen de mettre le numérique au service de sa propre circularité ?
Louise Marée, Digital and Circular Economy Expert au sein de l’Agence du Numérique et en charge du déploiement du Programme Digital Wallonia 4 Circular est membre du comité de programme de GreenTech Forum Brussels 2024.
Auteur de l'article : Rémy Marrone pour GreenTech Forum